Imaginons les cheveux gominés de Tony Leung et puis une succession de jolies femmes habillées dans un style très années 50's, comme Maggie Cheung dans "In the Mood for Love". Un plan, une robe, un vrai défilé de mode. Soudain, le ton monte, on s'invective et les coups partent, les gencives saignent abondamment, le combat commence, les corps s'élèvent et s'opposent en apesanteur. Les mains deviennent de véritables couperets tranchants et affûtés.

The_GrandmastersPlongé d'emblée dans une scène de combat ou un homme seul affronte un nuage d'adversaires. On est tout de suite dans le vif du sujet. Moi qui adore le cinéma Hongkongais de kung fu, pour qui les techniques de "l'homme ivre" ou de "l'homme mélancolique" n'ont plus de secrets. Moi qui voue presque un culte à Jackie Chan pour les films de sa jeunesse (avant qu'il se lance dans ses nanars made in usa) comme "La Hyène intrépide" (voir bande annonce ci-dessous), je me disais que, "The Grandmaster" ça allait dépoter. Et puis Pouf! le soufflé qui retombe, la montagne accouche d'un souriceau.

Concernant l'histoire, disons que Wong Kar-wai fait tout ce qu'il y a de plus classique : 1936, le vieux maître de l'école du Wing chun à Foshan, au sud de la Chine, pense à sa succession. Son remplaçant devra montrer son aptitude à unifier les écoles Wing chun du nord et du sud. Bien entendu, le maître Ip Man (celui là même qui sera bien plus tard le professeur du petit Bruce Lee à Hong Kong), devrait s'imposer pour le job. Toutefois, la fille du vieux maître veille à la transmission du patrimoine... Ce film n'est pas un biopic d'Ip Man, du moins dans sa version courte qu'on peut voir au cinéma en avril 2013 (le site du magazine "Première.fr" indique que "En ce sens, le nouveau Wong Kar-wai ressemble au gigantesque trailer d’un film dont nous verrons probablement une version longue – aux dernières nouvelles le réalisateur est reparti en salle de montage.")

J'avais apprécié "In the mood for love", je m'étais endormi durant "2046" (quelle idée d'aller à la séance de 22 heures). Mais là, ça a été le pompon. Je pense que Wong Kar-wai a voulu créer un univers esthétisant auquel je suis resté totalement insensible. Pourtant, les idées sont excellentes et les combats (trop peu nombreux) sont exceptionnels. En effet, dans la première partie, le projet d'installer le spectateur dans le confinement d'un bordel chinois où se croisent les maîtres des écoles de kung fu au détour d'un opéra chinois. Tout cela paraissait alléchant. Les combats sont justement chorégraphiés par Yuen wo ping (celui qui a créé les chorégraphies de Matrix).

Et puis, j'ai senti que subrepticement, le mouvement de la caméra s'est inversé, comme si le réalisateur la tournait vers lui en disant : "regardez-moi, je suis magnifique. Voyez ce que je sais faire." Là, ce qui aurait pu être un grand film a viré au pathétique, aux larmes et violons, et peut-être aussi à la masturbation intellectuelle, car Wong Kar-wai a voulu redonner à ce film le spleen de ces films précédents. Des ralentis qui ne servent à rien, des clichés réchauffés dans de nombreux films de kung fu (pas les meilleurs) sur le méchant envahisseur japonais qui détruit la culture chinoise et fait mourir de faim le peuple qui pourtant trime en temps de guerre pour s'en sortir. "Les quarante premières années de ma vie c'était le printemps et depuis l'arrivée des envahisseurs, ma vie est passée à l'hiver." Et enfin, des séquences trop décousues ou des personnages disparaissent sans crier gare, et pas des moindre. Par exemple, en deux plans, la femme de Ip Man s'évapore. Y a-t'il eu un problème de montage ?

Lorsque le maître Ip Man est à Hong kong et qu'il donne des cours pour quelques pièces, on perçoit l'insistance de Wong Kar-wai sur ce petit garçon dont on doit savoir qu'il s'agit du petit Bruce. Laissant trainer la caméra sur l'enfant comme pour dire : "regardez, c'est lui le petit Bruce Lee". Ca n'apporte absolument rien mais cette insistance peut lasser.

Enfin, le spectateur aura eu le temps d'examiner en long, en large le beau visage de Ziyi Zhang qui passe de la colère à la volonté de vengance. Au final, nous apprenons en voix off qu'elle serait morte Opiomane. Là, stupeur et incompréhension, mais un plan fourre-tout qui, une fois de plus, n'apporte rien à l'histoire, va montrer Zhang Ziyi allongée, qui s'adonne au crapotage d'une pipe à eau. Et puis nouveau grincement de violon et elle dit : "Je t'ai aimé dès le début..". On comprend alors que le combat du début entre Ip Man et Gong er (Zhang Ziyi) n'était en fait qu'une séquence d'érotisme durant laquelle les corps s'élèvent dans les airs et s'effleurent.

Reconnaissons tout de même que les combats sous la pluie sont magnifiques. Wong Kar-wai aurait passé 40 jours avec ses acteurs sous des trombes d'eau.

Bref, les combats, le visage de Zhang Ziyi et la classe de Tony Leung empêchent le nauffrage total d'un film qui, sous cette pluie, aurait pu s'appeler "le radeau de Foshan".