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le Monde de kikushiyo
4 mai 2013

Lionel Asbo, l'état de l'Angleterre - Martin AMIS

Pendant toute la lecture de ce roman, je n'étais pas à l'aise. Cette étrange sensation a disparue à la fin de l'ouvrage. Je ne saurai en expliquer la raison.

lionel asbo,l'etat de l'angleterreLa critique loue les qualités d'écrivain de Martin Amis (Nathalie Crom, Télérama 4 au 10 mai 2013). Depuis "London fields" ou "L'information", les termes utilisés pour le définir sont dithyrambiques. Il faut dire que c'est un enfant de la balle, son père était écrivain. En tout cas, il y a des années de cela, j'ai essayé la lecture des livres de Martin Amis. Disons que le lecteur n'avait pas rencontré l'auteur. Mais je suis têtu et lorsque "Les Inrocks" m'ont alerté sur la sortie de "Lionel Asbo" (parution en France le 23 avril 2013), forcément, je devais y retourner. D'autant que la présentation était séduisante. Roman éponyme et ASBO comme l'acronyme outre-manche de "Anti Social Behaviour Order", qui signifie "mesure contre le comportement antisocial". Errance de l'auteur dans la banlieue londonienne. Fallait voir. J'ai vu et la déception était à la hauteur de l'attente.

Martin Amis, il est en Angleterre, un peu comme notre Michel Houellebecq ou Maurice Dantec à nous en France, c'est à dire la clique des bons vieux réacs islamophobes et misogynes. Il forme avec Ian McEwan et Salman Rushdie le trio des "Blitcons", contraction de "British literary neoconservatives" ("les néo-conservateurs de la littérature britannique"). Alors c'est sûr, j'appréhendais quelque peu.

Ce livre ne me choque pas et je ne crie pas Ô Génie ! Non, loin de là. Amis fait la caricature, certes avec talent, de la vie du peuple de la "sous culture" (subculture) anglaise. Mais, Lionel ASBO, qui est le représentant de cette population barbarisée, pourrait vivre dans n'importe quelle banlieue de toutes les capitales occidentales. Incestes, mineures enceintes, analphabétisme, toxicomanies, misère, délinquance, débrouille, traitement de la délinquance des mineurs et pitbulls, sont, hélas, les lots communs du quart monde, fruits pourris de nos sociétés de consommation.

Je précise, que la commune de Diston n'est pas pire ou meilleure que nos cités. L'action aurait très bien pu se dérouler à la Cité de la Commanderie à Nogent-sur-Oise (60) ou bien le quartier de la Petite Hollande à Montbéliard (25), ou encore dans la cité des 4 000 à la Courneuve (93), j'en passe et des meilleures. Les effets de la misère matérielle ou psychologique sont les mêmes, quel que soit l'endroit où ils s'enracinent. Je conçois que la différence avec la France, c'est qu'en Angleterre la presse de caniveau alimente cette sous culture. La sous presse des Tabloïds est d'ailleurs omniprésente dans ce livre. Elle est vendue à plusieurs millions d'exemplaires aux petites gens et Amis y fait souvent référence.

Par conséquent, dans la première partie de ce livre (appelée 2006), Martin Amis n'a rien écrit de "politiquement très incorrect" (Nathalie Crom, Télérama 4 au 10 mai 2013), n'en déplaise à ces Messieurs, Dames les critiques littéraires (et d'autres encore) à qui je propose d'aller quelquefois dans nos banlieues afin d'y voir ce qui s'y déroule ou ce qui s'y crée aussi. Je suis souvent surpris par leurs remarques ou commentaires. Parfois, j'ai l'impression qu'ils écrivent leurs papiers confinés dans les salons parisiens entre Champagne et vieilles dentelles. En fait, il suffirait de décrire ce qui fait le quotidien glauque de la moitié des français pour être caustique, et être beaucoup plus "politiquement incorrect" que Martin Amis, alors que son style d'écriture est si policé (oui je dis policé). Non, c'est trop simple. Pour décrire la vie et l'univers des laissés-pour-compte, il faut un véritable talent que n'a pas Martin Amis. Ces critiques n'ont-ils pas lu de littérature américaine contemporaine ? (comme Eric Miles Williamson ou David Simon) Ou encore, pour rester en Europe, on pourrait dire aussi qu'une auteure comme Grisélidis Réal ("Le noir est une couleur" à retrouver dans Le Monde de Kikushiyo) écrit, elle, au vitriol. Différents écrivains pourraient être considérés comme les "mètres étalons" du "politiquement très incorrect", mais sûrement pas Martin Amis.

skinhead

Je mettrais encore un bémol à la seconde partie (appelée 2009) qui est très faible. Imaginons les tribulations des "Bidochon" mis en littérature. Puisque Lionel Asbo a gagné plusieurs millions à la loterie, forcément il va fréquenter les hôtels de luxe. C'est donc Robert Bidochon qui va découvrir les Palaces. Alors là, Martin Amis y va de la petite blagounette entre potes : "Comment tu fais se brûler la face à un taré de la haute ? - Dis-nous. - Tu lui téléphones quand il fait son repassage ! ... " (p.139). Désolé, j'ai déjà l'Almanach Vermot...

Je ne comprends vraiment pas où Amis veut mener son lecteur. Dans cette seconde partie il y a de grands vides. Et puis, ce qui peut ressembler à une caricature sociale glisse peu à peu vers la moquerie dégoulinante d'une incongruité poussée à l'extrême. Je trouve pathétique le passage dans lequel Lionel ASBO s'acharne sur une carcasse de homard dans un restaurant de poissons : "Étaient-ce les mains du homard ou ses... ses pinces ? Se penchant très bas sur la table, Lionel positionna le membre hérissé de pointes dans les mâchoires de l'ustensile ; puis il appuya de toutes ses forces... et reçut une giclée de beurre chaud dans l'oeil !" (p.178). A ce moment là j'ai voulu lâcher le bouquin. Mais la seule chose qui m'en a fait continuer la lecture c'était ma curiosité. Je voulais vraiment savoir si cette médiocrité allait s'étaler jusqu'au bout.

Cela dit, "Lionel Asbo, l'état de l'Angleterre", peut présenter quelque intérêt, notamment quant au style. Hormis la seconde partie, il faut reconnaître à Amis le talent de certaines descriptions de l'univers de Diston, triste banlieue. L'enchainement de ses idées en facilite la lecture. Par exemple, Mamie Grace a appelé ses fils John, Paul, George, Ringo et Stuart (le cinquième Beatles). Je noterai encore le très bon tempo donné à la narration. En effet, la musique narrative menée tambour battant donne au texte un mouvement oscillatoire entre Lionel, et Desmond, entre le jour et la nuit, le blanc et le noir. Comme si Amis avait écrit au son du tic-tac d'un métronome.

 
Pour conclure, je veux citer un extrait du livre d'Eric Miles Williamson que j'ai admiré (pour ne pas dire jouissif), "Bienvenue à Oakland" qui évoque l'univers des laissés-pour-compte d'Oakland. L'auteur décrit la vie des gens, des miséreux qui souffrent pour (sur)vivre. Dans ce passage Williamson explique son écriture : "Ce dont on a besoin, c'est d'une littérature imparfaite, d'une littérature qui ne tente pas de donner de l'ordre au chaos de l'existence, mais qui, au lieu de chaos, une littérature qui hurle à l'anarchie, apporte de l'anarchie, qui encourage, nourrit et révèle la folie qu'est véritablement l'existence quand nos parents ne nous ont pas légué de compte épargne, quand on n'a pas d'assurance retraite, quand les jugements de divorce rétament le pauvre couillon qui n'avait pas de quoi se payer une bonne équipe d'avocats, une littérature qui dévoile la vie de ceux qui se font écrabouiller et détruire, ceux qui sont vraiment désespérés et, par conséquent, vraiment vivants, en harmonie avec le monde, les nerfs à vif et à deux doigts de péter un câble, comme ces transformateurs électriques sur lesquels on pisse dans la nuit noire d'Oakland."(p.151) - (Kikushiyo remercie Monsieur Eric Miles Williamson et Librairie Arthème Fayard - Roman noir - Points).
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