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le Monde de kikushiyo
10 juillet 2013

Tout passe - de Gabriel Josipovici

Tout passe"Tout passe" de Gabriel Josipovici parait en France en 2006 chez Quidam Editeur.

Dans un interview, Gabriel Josipovici indique que 2 évènements sont à l'origine de l'écriture de ce livre. Tout d'abord, il y a l'histoire d'Arnold Schoenberg, compositeur d'origine autrichienne qui, après un arrêt cardiaque va effleurer la mort. Il composera en 1946 un trio à cordes (op.45) String, afin de retranscrire musicalement son séjour dans l'antichambre de la mort et son retour à la vie.

Le second évènement sera la découverte d'une œuvre d'art brut en lien avec le champ de la psychiatrie. Une femme hospitalisée écrit tous les jours, toujours sur la même feuille, une lettre à son mari. La feuille blanche se remplie peu à peu jusqu'à devenir illisible. Le courrier ne partira jamais, mais sa beauté en fera une œuvre d'art.

Après la lecture de "Tout passe", je me suis imprégné de la musique du trio pour cordes (op.45) String de Schoenberg, puis j'ai relu le petit ouvrage d'une soixantaine de pages. Les liens entre le texte et sa manière étrange d'être structuré, d'une part, et le morcellement musical de l'œuvre de Schoenberg, d'autre part, me paraissaient évidents. Je partirai donc du postulat que ces deux œuvres ont des gênes communs. Que Josipovici a écrit un texte qui a les mêmes dissonances que la création musicale de Schoenberg. Il me semble que "Tout passe" fait en quelques pages la synthèse de la vie et de la mort. Le livre parle donc de l'Homme.

Les premières notes de la composition de Schoenberg déroutent l'auditeur. Il n'y a pas de ligne mélodique. Tout n'est que dissonance, comme lorsque des musiciens accordent leurs instruments avant un concert. Les deux violons et de la contrebasse cherchent leurs notes dans une forme de cacophonie. Tout de suite, je ne saisis pas la direction que prends l'œuvre. Les sons qui se suivent sont hachurés. L'enchainement est saccadé et devient étouffant, puis dérape. Les violons qui s'opposent en une lutte musicale montent en puissance et accélèrent le rythme, à l'image d'un cœur qui s'emporterait après une vive émotion. Frénétiquement, un violon s'engage dans une mélodie tachycardique, la note est très aigue puis elle devient très basse. Enfin un long spasme et vient le silence.

Le silence parait durer une éternité. Et puis les violons et la contrebasse repartent. Ils semblent avoir trouvé le "La". L'enchainement des sons se fait plus mélodique. La nouvelle harmonie génère presque un espoir. Mais le ton dramatique de la contrebasse vient tout faire basculer. De nouveau tout s'affaisse. En tendant l'oreille, il me semble percevoir que l'énergie de la vie virevolte avec une certaine insouciance au son du violon. La mort est inspirée par les notes graves de la contrebasse. A vouloir toujours se repousser, les deux instruments se rencontrent immanquablement au gré d'une harmonie ambivalente.

Cette description d'une musique sur laquelle j'ai tenté de poser ces quelques mots, peut s'appliquer à "Tout passe". Le récit n'est pas linéaire mais on pourrait se l'imaginer comme une spirale qui va et qui revient.

Dans le texte de Josipovici, on retrouve ces mêmes dissonances et l'auteur semble hésiter entre le présent et le passé. Des flashbacks rappellent comment un homme, aujourd'hui éteint et seul devant sa fenêtre, Félix, a pu autrefois être égoïste et narcissique. Alors, est-ce des regrets qu'il ressasse en fixant cette fissure sur le carreau ? Le passé, s'il génère son mal-être actuel, rappelle surtout à Félix comme il a pu aimé et être aimé. L'auteur représente le présent avec cette pièce vide et cet homme seul qui regarde à une fenêtre la grisaille à travers un carreau fêlé, et le passé chargé de plaisir, d'amour, d'effluves, de séparation aussi.

Le style poétique du début évolue au fil des pages vers un ouvrage philosophique. Gabriel Josipovici voyage dans le temps qu'il contracte ou dilate au gré de la tournure que prend le récit. Les deux enfants de Félix sont dans un présent qui les contrarie car leur père n'a plus de désir. Ils veulent l'aider mais lui ne veut plus rien. Pour être à ses côtés, sa fille ne fait rien d'autre que de nettoyer. Il ne souhaite pas réparer ce carreau qui représente, me semble-t'il, les failles de sa vie. Le passé, c'est Lotte, la femme qu'il a aimé, son parfum l'exaltait, et dont la mort a laissé un grand vide. C'est aussi Sally, la mère de ses enfants, qui partira avec un homme plus jeune.

Félix n'oublie pas la passé et c'est ce qui l'empêche de vivre aujourd'hui. Il n'a plus aucun désir. Paradoxalement, la phrase du texte qui revient régulièrement comme un mantra ne semble pas s'appliquer à Félix : "Tout passe. Le bien et le mal. La joie et la peine. Tout passe."

L'expérience de ce texte est surprenante. Je n'ai pas le souvenir d'avoir déjà lu un texte si court qui dise autant de choses. L'alchimiste aurait-il trouvé le secret de prolonger la vie humaine au-delà de ses bornes naturelles ?

 

 

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