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le Monde de kikushiyo
1 décembre 2013

La Ballade de Narayama - d'après le roman de Shichirō Fukazawa "Narayama-bushi-ko" (楢山節考)

A partir du roman de Shichirō Fukazawa "Narayama" paru en 1956 (ed. L'imaginaire Gallimard), deux films en ont été adaptés. Dans un premier temps, Keisuke Kinoshita réalise en 1958 une magnifique "Ballade de Narayama" très stylisée et entièrement conçue en studio par la Shochiku (même studio que Ozu entre autre).

la ballade de narayama (2)

"La Ballade de Narayama" dans sa seconde version de Shohei Imamura, remporte en 1983 La Palme d'Or de la trente-sixième édition du Festival de Cannes. Jolie récompense pour un remake qui a tenté l'originalité, mais qui n'atteindra pas le niveau de l'adaptation de Kinoshita. La version de 1958 est hélas trop peu connue du grand public.

Narayama - FukazawaEn racontant la légende du pèlerinage sur le Mont Nara, Shichirō Fukazawa pose une question qui est d'actualité : Quelle place réserve t'on aux personnes âgées ? Le sujet est traité à l'aune d'une légende japonaise, mais on peut considérer cette oeuvre sous le prisme de son universalité. Aujourd'hui, les vieux sont de plus en plus vieux et ont une importance prépondérante dans la vie sociale. La vieillesse et la dépendance sont elles prises en charge par nos sociétés ? Quoiqu'il en soit, la légende de Shichirō Fukazawa apporte une réponse radicale, l'exclusion. Questionnant la place du vieux dans la famille et de son rôle social.

Dans un village qui  vit pour le moins en autarcie, toute personne qui atteint l'âge de 70 ans, devenue une bouche en trop à nourrir, doit quitter la société des vivants et être accompagnée par son enfant aîné sur le Mont Nara pour y mourir. La vieille Orin attend cette échéance avec joie et impatience, sans qu'elle ne le vive de manière dramatique. Toutefois, elle doit convaincre son fils aîné Tatsuhei, qui ne semble pas vraiment désireux d'entreprendre le pèlerinage. Mais avant cela, Orin doit aussi s'assurer que Tatsuhei, qui est veuf, retrouve une femme. Il s'agit là de transmettre ce qu'elle sait à une autre femme avant de partir. Cette femme c'est Tamayan, celle du "village-d'en-face", elle sera sa bru. La société de ce petit village est structurée avec des codes très précis qui imprègnent l'espace des vivants et délimitent la frontière avec les morts. Ainsi, le riz qui est une denrée rare, est rationnée et protégée. Tout vol de nourriture est un crime majeur qui est sévèrement puni. Lorsque cela arrive, ce sont tous les villageois qui participent à la sentence après s'être excusés auprès des divinités du Mont Nara. Ce livre, très simplement écrit, est un chant qui relate la légende. La musique de cette histoire sourde comme une source qui jaillie de la culture nippone et qui s'appuie sur cette petite vieille, Orin, qui en est le pilier. Superbement interprétée par une Kinuyo Tanaka méconnaissable.

Narayama - kinoshita

Le film "La ballade de Narayama" de Keisuke Kinoshita (1958) est une perle de mélodrame de l'âge d'or du cinéma japonais. Je m'arrêterai là pour les superlatifs. Il faut dire que ce film utilise intelligemment des arts vivants japonais. Déjà, le film débute comme un spectacle de bunraku (marionnettes) où le premier chanteur Tayu donne le ton en frappant sur le bois, au son du shamisen (guitare traditionnelle à 3 cordes). Quand le rideau est tiré, ce ne sont pas des marionnettes mais bien des hommes qui apparaissent dans de somptueux décors peints. Le spectacle peut alors commencer. On se laisse entraîner par la narration du conte et la complainte du Tayu au gré de l'histoire de Shichirō Fukazawa. Et puis, les images, telles qu'elles, s'enchainent, suivies des décors qui disparaissent sous nos yeux et font allusion au Théâtre traditionnel Kabuki. Les décors peints peuvent, au tout début, surprendre le spectateur moderne, mais ils sont tellement bien intégrés au récit qu'on les oublie et il ne reste plus qu'une magnifique estampe animée par les images de Kinoshita.

Ce rituel de l'exclusion est cruel car il généralise à l'ensemble des vieux le fait qu'ils soient dépendants, sans tenir compte de leurs véritables capacités d'être autonome. Orin, n'accepte pas d'avoir toutes ses dents car la roue doit tourner et elle veut laisser sa place. Elle essaie donc de se briser les dents sur des pierres. Cette séquence est insoutenable et émouvante à la fois. La fin du film est intense en émotion.

"Tourner entièrement en studio, le film de Kinoshita n'aspire à aucun réalisme. Il s'aspire au contraire à toutes les formes de narration et de représentation de la culture japonaise très stylisée, pour y trouver un ton singulier. L'émotion vient moins du jeu des acteurs, souvent filmés de loin, comme sur une scène de théâtre." dit Charles Tesson (directeur éditorial - dvd mk2 - 2012).

J'ai beaucoup moins aimé la version de Shohei Imamura de 1983. En effet, le réalisateur s'est senti une frénésie de modernité. Un désir de développer l'aspect comique et les séquences de sexe. Sans être particulièrement prude de nature, j'ai pensé qu'Imamura sciait la branche sur laquelle il s'était assis. Et cette branche, c'est l'histoire créée par Shichirō Fukazawa. En effet, Imamura va, par exemple, créer un personnage, le second fils d'Orin, le frère de Tatsuhei qui sera nommer "le puant". C'est un adulte simplet qui est rejeté par les autres tant il pue. Ce personnage a les hormones qui le travaillent tellement qu'il ne pense qu'à assouvir ses bas instincts. Shichirō Fukazawa, lui-même, a été très critique à l'égard du film et la manière dont son oeuvre a été détournée. Il évoquera le caractère "pornographique" du film  d'Imamura.

Dans cette version, il semble que le réalisateur insiste sur le fonctionnement autarcique des habitants du village. Ils sont loin de tout. Ainsi, leurs rites et leurs coutumes ressortent beaucoup plus que dans la version de Kinoshita. Ce sont ces repères qui structurent le temps qui passe. Mais ce repli social donne aussi plus d'importance aux besoins primaires de l'homme : boire, manger, se rapprocher.

La version d'Imamura insiste plus sur la notion du temps et les saisons qui passent, ainsi que le côté animal de l'homme qui le rattache à cette même nature.

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