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le Monde de kikushiyo
30 décembre 2013

Il faut beaucoup aimer les hommes - de Marie Darrieussecq (2013)

"Il faut beaucoup aimer les hommes" est paru chez P.O.L éditeur en août 2013. il-faut-beaucoup-aimer-les-hommesLe roman obtient le 12 novembre 2013 le "Prix Médicis".

J'ai abordé ce livre avec une certaine hésitation. Une fois de plus une auteure française confine l'action de son roman au coeur de la petite bourgeoisie. Vais-je avoir le courage de résister à 312 pages des complaintes de Solange, actrice française exilée en Californie et enchaînant petit rôle sur petit rôle. Plutôt à l'aise dans les soirées de stars hoolywoodiennes, entre George, David, Vincent, parfois Matt ou Gwyneth, prise dans les méandres des highways interminables et traînant son âme en peine sur le Sunset Blvd.

Il y a un peu de cela, mais il y surtout une bonne auteure, Marie Darrieussecq, qui dans ce livre atteint un sommet en terme de narration. "Il faut beaucoup aimer les hommes" présente la passion qu'entretient Solange pour un homme, acteur comme elle et, noir. Ce qui ne vas pas sans lui poser de questions. D'ailleurs des questions, Solange s'en pose pendant tout le livre.

Les deux thématiques de ce livre sont, me semble t'il, d'un côté la relation d'un couple mixte et toutes les méconnaissances, voire les incompréhensions qu'ont l'un pour l'autre. Le temps qu'on prend à questionner les origines de l'un, c'est du temps de perdu pour être ensemble.

D'autre part, Darrieussecq évoque la question de la passion. Pour ma part, je n'avais jamais véritablement fait de distinction entre l'amour et la passion. Peut-être que la passion était une forme plus soutenue de l'amour. Ce n'est pas cela. La passion est univoque. Il  n'y a pas d'altérité. L'autre n'existe pas, on le rate. Dans un entretien sur France Culture (à écouter ci-dessous), l'auteure précise que "la passion est une structure. Les passions se ressemblent toutes. Elles commencent sur un coup de foudre, elles continuent sur un malentendu et se finissent sur un échec (une impasse)."

En fait, l'histoire de Solange et de Kouhouesso n'existe pas. Il s'agit plutôt du fantasme d'une femme vis-à-vis d'un homme de couleur. Elle est impatiente de le présenter autour d'elle, à ses amis, à son père, mais le paradoxe est qu'elle soit étonnée des manifestations de surprise des uns et des autres, alors qu'elle s'y attendait un peu. L'attrait de l'Homme noir pour l'occidentale en quête d'exotisme "Jungle fever"(p.256). " "Mange-moi", songea-t-elle. Une prière, une supplique au cannibale. Mange-moi. Qu'on en finisse. Qu'il la mange à jamais." (p.265). Ce désir renvoie sans équivoque au conte d'Alice aux pays des merveilles, allégorie d'un monde rêvé qui n'a rien à voir avec la réalité. Or, la réalité de Kouhouesso n'est pas identique puisqu'il ne répondra à aucun moment au désir de Solange. Lui a un projet qui s'inscrit dans le réel. Le projet de réaliser au Congo l'adaptation cinématographique du roman de Joseph Conrad "Au coeur des ténèbres" (1899), un monument de la littérature anglaise.

Entre ces deux êtres qui se croisent on ne peut donc pas parler d'amour. Ce mot implique la communion, le partage, les échanges. Or, Kouhouesso et Solange ont, certes, des rapports physiques quand ils se rencontrent, mais il n'y a rien d'autre. Pourtant, Solange aimerait être dans la confidence, pouvoir l'aider et être à ses côtés. Mais ce n'est pas son désir à lui.

Dans le livre d'Annie Ernaux, "Une passion simple" (1991), cité en référence par Marie Darrieussecq (cf. l'interview ci-dessous), la narratrice entretient une relation avec un homme marié. Elle peut rester plusieurs semaines sans qu'il ne se manifeste : "A partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi." Elle en vient même à ritualiser sa relation à l'autre en remettant la même robe, les mêmes souliers, en faisant un nouveau voyage en Italie, seule. Espérant le faire revenir. La narratrice raconte qu'elle a conscience que cette passion est dévorante, qu'elle l'envahie et ne lui laisse aucun répit dans sa propre vie. On peut facilement comparer cette espérance passionnelle à celle de Solange qui se perd dans l'espoir d'un texto (les temps changent) de Kouhouesso qui ne vient pas. Pour l'anecdote, dans la brousse camerounaise, Solange paiera même la réceptionniste de son hôtel, qui a quelques accointances avec la sorcière locale, pour faire revenir le bien-aimé qui se fait attendre. En plus de l'argent versé, ceci lui vaudra une mèche de cheveux.

 

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