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le Monde de kikushiyo
21 avril 2014

Les Trois Soeurs du Yunnan - de WANG Bing (sortie en salle le 16 avril 2014)

Au tout début on est fasciné par la misère de ces petites filles décrite par Wang Bing, c'est du Zola, pire encore. Ces enfants vivent seuls, livrés à eux-mêmes, dans un village pauvre des hauteurs du Yunnan, à 3200 mètres d'altitude. Le père est parti travailler en ville, quant à la mère, elle a définitivement quitté sa famille.

les Trois Soeurs du Yunnan (1)Zhenzhen (6 ans) et Fenfen (4 ans) ont les cheveux courts comme des garçons, mais c'est la moindre des choses lorsqu'on se rend compte qu'elles sont infestées de poux, jusqu'au col de leur chemise. L'aînée c'est Yingying (10 ans) qui s'occupe de ses petites soeurs comme un substitut maternel. C'est elle qui prend soin, elle qui décrotte les bottes en caoutchouc, elle encore qui est capable de gestes tendres. La caméra se met à sa hauteur pour la scruter avec beaucoup de pudeur. Il n'y a aucun commentaire en voix off, tout est laissé brut, tel quel.

"Les Trois Soeurs du Yunnan" est un documentaire passionnant sur le quotidien de ces trois petites filles dont la pauvreté impressionne, tant elle va à l'encontre de l'image d'une Chine enrichie par une croissance exponentielle, une Chine des milliardaires qui s'imposent au classement de Forbes. Non, cette Chine que montre Wang Bing c'est celle des déclassés, des petits, des miséreux, d'un peuple qui survit sur les champs de ruines d'une économie triomphante. On est peu habitué à côtoyer la pauvreté dépeinte si crûment. Une enfant de 6 ans va dans une porcherie, Yingying ramène les moutons, elle va couper un gros chou du potager, elle allume le feu, prépare le repas, nettoie la table et fait la vaisselle. Lorsqu'elles sont éreintées, les soeurs s'endorment dans un même lit pouilleux et suintant de crasse. Ça tousse sans arrêt car il fait froid dans cette province du sud ouest balayée par des vents glacés, ça rote de plaisir après un vrai repas et le nez des enfants reste morveux après une légère toilette qui consiste à se passer un peu d'eau sur le visage et les mains. Mais quand Zhen et Fen prennent le bus avec leur père, toutes propres dans leurs vêtements neufs, elles ont l'air de petits animaux apeurés, c'est somptueux.

Et puis, lorsqu'on a dépassé cette première impression de partager l'intimité du peuple de la fange, on est saisi par un sentiment d'étrangeté. Quelques signes de modernité nous rappellent que nous ne sommes pas au Moyen-âge, la sonnerie d'un téléphone portable, une télévision qui fonctionne dans un coin, entre le tas de pommes de terre et les briques de tourbe. On ne sait pas si les programmes qu'elle diffuse relève de la propagande du régime ou bien de sous-séries locales. Peu à peu, le reportage évolue et se change en un conte universel qui pourrait sortir d'un livre d'Andersen ou de Grimm. Tout deviendrait possible, le pire ou le meilleurs. Mais il n'y a pas vraiment de méchant, si ce n'est la mère absente qu'on ne nomme pas, à part peut être dans une comptine entonnée par les petites filles : "La plus gentille de toutes les  mamans, c'est ma maman à moi.". Parfois, au gré des séquences qui s'enchainent, on percevrait presque le danger qui s'immisce subrepticement, mais qui au final n'apparait jamais. Wang Bing leur veut du bien à ces trois soeurs.

les Trois Soeurs du Yunnan (2)Lorsque la petite Yingying part cueillir des pommes de pins à travers les sentiers des versants enneigés, l'enfant ne rencontrera rien d'autre qu'une fatigue due à l'altitude, cette fatigue qui agite les coeurs et roussit les pommettes.

Je ne connaissais pas Wang Bing, l'auteur de "A l'Ouest des rails" (documentaire de 9 heures tourné dans une ville-usine abandonnée), mais j'ai littéralement été bluffé par ce documentaire magnifique, "Les Trois Soeurs du Yunnan". Les petites sont fascinantes et les paysages grandioses. Le spectateur est penché sur les versants des montagnes sculptées en terrasses, parfois enneigées, au gré des saisons qui passent. A quoi pense Yingying lorsqu'elle scrute l'horizon ? Même si les intérieurs sont encombrés par l'opacité d'une fumée omniprésente en raison des foyers qu'on allume, Wang Bing laisse toujours la place à une fenêtre ouverte sur l'extérieur, symbole d'un espoir possible ailleurs. Justement, le réalisateur a très bien mis en exergue ces moments de partage, où l'être humain reprend le dessus sur un environnement austère. Lors des repas notamment où la communauté se réunit, que ce soit les adultes d'un côté ou les enfants de l'autre, tous sont heureux et rien ne semble perturber l'atmosphère, pas même les hurlements d'un chat qui miaule. C'est peut-être cela la richesse de ces gens.

Ce film relève d'une commande d'"Arte" passée à Wang Bing. Le reportage tourné en 2012 a été diffusé en février 2014. Sa version télévisée diffère quelque peu de la version cinéma. En effet, dans la version d'Arte, le réalisateur s'est arrêté un peu plus sur le mal être des enfants,dû notamment à l'absence de leur mère. Le réalisateur intervient plus souvent dans la discussion, ce qui n'est pas le cas dans la version cinéma. Finalement, les deux versions se complètes. Yingying est gênée lorsque Bing lui demande où est sa mère ? "Elle s'est barrée" répond elle  émue. A voir.

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Commentaires
O
Bonjour,<br /> <br /> Vous proposez une belle lecture du film de Wang Bing. j'ai apprécié la manière dont vous décrivez le quotidien de cette famille, en correspondance avec le montage du film : une multitude de scènes qui saisissent les actions et le travail habituel, mais qui révèlent peu à peu la difficulté et l'histoire personnelle de cette famille. J'ai trouvé le film poignant et je ne savais pas qu'il existait une version pour Arte. J'imagine cependant mal entendre le réalisateur intervenir dans la discussion, car sa capacité d'effacement et de silence face aux petites filles est ce qui permet, dans la version cinéma, la véritable émotion du film.<br /> <br /> <br /> <br /> Oriane (du blog Mirabelle-Cerisier)
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