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le Monde de kikushiyo
4 mai 2014

La place - de Annie Ernaux (1983)

"La place" a obtenu le prix renaudot en 1984.

la place

L'auteure s'impose une écriture simple et épurée pour évoquer le souvenir de la relation à son père. Elle décrit de manière très factuelle ce qu'a été sa vie à ses côtés, ainsi que les phrases qui lui reviennent, rien de plus. Mais dire, n'est-ce pas trahir ? C'est pour ce motif qu'elle refuse d'adopter un style romanesque, pour ne pas embellir cette vie simple et tenter de rester fidèle à sa mémoire, ce qu'elle nomme une écriture de constat.

"Je hasarde une explication : écrire c'est le dernier recours quand on a trahi." Annie Ernaux met cette phrase de Jean Genet en exergue.

Par sa volonté et ses études, l'auteure change de milieu social et côtoie les petits-bourgeois, "les dominants", ceux-là même devant lesquels son père s'est toujours incliné. Annie Ernaux n'a-t-elle pas trahi les origines pauvres de son père ? Celles qui suivent toute la vie durant et qui laissent parfois l'étrange sentiment de ne pas être au bon endroit et de toujours avoir besoin de s'excuser ou d'être gêné. Et puis, il y a cet accent normand dont il faut se débarrasser. C'est pourtant l'héritage qui reste de l'histoire d'un homme né en 1899 et devenu vacher dans une ferme à l'âge de 12 ans. D'ailleurs, quand elle a commencé à écrire, Annie Ernaux a expliqué que c'était un acte militant puisqu'elle "voulait venger sa race" (Phrase d'un cahier intime de la jeunesse de l'auteure, qui elle-même paraphrase Rimbaud : "Je suis de race inférieure de toute éternité" cf. "Mauvais sang" dans 'Une saison en enfer'.). D'où ce tiraillement lié à l'incertitude de ne pas vraiment être à sa place. D'ailleurs, peut-on véritablement enfouir son "Moi" propre ? C'est ce qu'interroge dans son oeuvre l'auteure qui donne par la même occasion une saveur universelle à l'ouvrage.

L'idée d'écrire sur son père apparaît après la mort de celui-ci, en 1967, alors qu'elle est jeune mère et qu'elle vient d'obtenir son 'capes'. Que reste-t-il de leur relation ? Peu de choses en fin de compte car, trop tôt, elle s'est bâtie une vie parallèle à celle de ses parents et tout a changé. Sa manière d'être a changé, son langage a changé. Dès la page 24, Ernaux indique : "...,  je n'ai pas le droit de prendre d'abord le parti de l'art, ni de chercher à faire quelque chose de 'passionnant', ou d' 'émouvant'. (...) L'écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j'utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles."

"La place", comme les autres opuscules d'Annie Ernaux, présente une démarche d'analyse sociologique très Bourdieusienne à propos d'un tissu social précis qui va traverser la seconde moitié du XX° siècle et début du XXI°. Tout se déroule sous le regard littéraire d'une auteure utilisant sa vie comme d'un matériau de création. Chez Ernaux, le "je" devient "on" et puis "nous", d'où sa faculté d'écrire hors d'elle sur la vie en générale en utilisant sa personne comme d'un lieu de passage. On ne peut donc pas dire que "La place" est autobiographique au sens habituel.

Ce petit livre d'une centaine de page d'Annie Ernaux est une véritable oeuvre d'art, elle brosse un portrait très tendre de son père par petites touches, à la manière des impressionnistes

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