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le Monde de kikushiyo
2 mai 2015

Meursault, contre-enquête - de Kamel DAOUD (2013) ACTES SUD

A plus de cinquante années de l'indépendance de l'Algérie, un auteur algérien fait entendre sa voix pour défendre la victime d'un meurtre commis dans l'indifférence en 1942 pendant la colonisation. La conversation qui s'engage est une réponse a une question posée il y a 70 ans, véritable voyage dans le temps. "Meursault, contre-enquête" (2013), le premier roman de Kamel Daoud répond à "L'étranger" (1942) d'Albert Camus (commenté dans "Littérature française"). Le roman de Daoud plaide pour celui qui n'a jamais eu d'autre nom que "l'arabe". Le livre n'est aucunement un réquisitoire, mais bien une nouvelle ouverture de Camus sur l'universel. Au regard du succès du livre, tant en France qu'en Algérie, on peut penser que la religion Camusienne recense toujours autant d'adeptes.

mersault contre enquete - kamel daoud

L'auteur rééquilibre le propos de Camus en donnant à présent la parole à la victime de "L'étranger". Meursault s'était-il senti menacé avant de tirer ? Après le crime, le roman de Camus ne fera plus référence au mort. Pourtant, cet homme avait une famille et son destin tragique a laissé des cicatrices sur la vie de Haroun, son frère cadet. Leur mère vit toujours, mais à présent elle est très âgée et n'est plus à Alger. Toute sa vie elle a eu l'espoir de faire son deuil et de retrouver le corps de son fils disparu. Déjà délaissée par son mari, voilà qu'à présent c'est son fils Moussa qui partait. Après le drame, seul Haroun restait près d'une mère qui hurlait sa rancoeur au monde. C'est Haroun le narrateur, parce que pour comprendre l'acte de Meursault, il a fallu qu'il apprenne la langue du meurtrier.

A présent Haroun est vieux. Il sirote dans les bars, parle aux fantômes et raconte à qui veut bien l'entendre la vie brève de son frère, surtout sa mort. L'étudiant qui s'arrête à sa table est en fait le lecteur qu'il tutoie à son gré : "J'attendais un petit curieux comme toi pour pouvoir enfin la raconter..." (p.64). Haroun raconte sa vie d'après, ou plutôt le calvaire qu'il a subi seul auprès de sa mère qui l'obligeait à porter les habits du mort. Il en veut surtout au livre du français auteur du meurtre, non pas parce qu'il a eu un succès mondial, mais parce qu'il l'accuse de ne pas tout dire : "Le succès de ce livre est encore intact, à en croire ton enthousiasme, mais je te le répète, je pense qu'il s'agit d'une terrible arnaque." (p.74) Si Haroun est constamment en colère c'est parce qu'il y a déjà bien longtemps qu'il s'est rendu compte qu'il ressemblait surtout à Meursault l'assassin et qu'il était lui-même étranger de sa propre vie.

Pour son premier roman, Kamel Daoud est arrivé à détourner ce grand classique de la littérature française. Il le désacralise même en lui donnant le ton d'une enquête policière : "Ensemble, nous la promenons [la langue française] comme une loupe sur la scène du crime [...]. Il me semblait que j'approchais des lieux où l'assassin avait vécu, ..." (p.100). Durant la lecture de "Meursault, contre-enquête", il m'est arrivé de reprendre "L'étranger" pour en relire certains passages auxquels l'auteur faisait référence.

Le roman est surtout porté par une écriture admirable qui ne faiblit jamais et participe grandement à l'enrichissement de la langue française. A ce titre, après avoir failli être récompensé du prix Goncourt en 2014, Kamel Daoud avait reçu plusieurs distinctions dont le Prix François Mauriac de l'Académie Française, le Prix des Cinq continents, décerné par l'Organisation internationale de la francophonie, et le Prix "Escale littéraire" d'Alger, décerné par des écrivains et journalistes algériens et français.

Enfin, "Meursault, contre-enquête" va affranchir Haroun des liens trop forts qui le rattachaient, malgré lui, à la période coloniale. La langue française étant pour Kamel Daoud "un bien vaccant", Haroun le narrateur va se l'approprier comme en 1962 les algériens s'appropriaient les maisons abondonnées par les colons. Pour cette raison, la seconde partie du livre va donner à l'ouvrage un ton particulièrement polémique. L'auteur libère, non seulement, le narrateur du joug du colon, mais il se donne à lui-même une immense liberté de parole en se détachant des contraintes morales des religieux. En cela, Daoud reprend le propos de Meursault dans "L'étranger", propos qui était déjà, rappelons-le clairement anticlérical.

NOTA : Les barbus ont la mainmise sur de nombreux facteurs qui dictent la Morale. Ils n'acceptent pas le succès de Kamel Daoud hors des frontières. Pour ce motif, ils viennent de le viser par une fatwa appelant à sa mort lancée par un nébuleux islamiste de seconde zone. A partir d'aujourd'hui, Le Monde de Kikushiyo soutient de tout coeur et sans réserve la littérature de Kamel Daoud. "Que vive la liberté d'expression en Algérie". L'obscurantisme n'arrêtera jamais les gens libres de penser.

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