"esprit d'hiver" parution en août 2013, Christian Bourgois éditeur.

L'adoption. Je n'ai jamais vraiment compris s'il s'agissait d'un leurre ? Devenir parent, ne serait-ce qu'un acte, une posture auprès d'un enfant ? Qu'en est il de la question de la filiation ? Que transmet-on réellement ?

C'est bien plus que cela, me semble t'il, car il y a peu d'adoption qui réussissent et dont la greffe prend, si je peux m'exprimer ainsi. En effet, les futurs parents doivent avoir entamé un véritable processus de réflexion sur eux-même et leur désir d'enfant. Ils doivent, non seulement réfléchir au deuil à faire quant à leur impossibilité de procréer et, dans le même temps, s'interroger sur la place que l'enfant prendra dans leur vie. Quel manque viendra t'il combler. Sans ce travail, a minima, je ne sais pas comment l'adoption pourrait fonctionner.

C'est cette question de l'arrivée d'un enfant adopté dans un couple que pose Laura Kasischke dans son roman "esprit d'hiver". Tatty, Tatiana est désormais une adolescente de quinze ans. Belle et discrète, ce n'est plus le bébé diaphane aux cheveux noir de Jais qu'Holly Judge et Eric Clare sont allés chercher, il y a maintenant des années, en Sibérie, à l'orphelinat Pokrovka n°2.

Tatiana est une adolescente comme beaucoup d'autres, qui sait pointer les failles qui existent chez ses parents. Et Holly en a des failles, à commencer par sa propre culpabilité : Dans un étrange passage du livre où, âgée de trois ans, Tatiana joue à se cacher et, peu à peu, l'angoisse de perte devient pour Holly insupportable. Un simple jeu prend de telles proportions, pour finir par se transformer en un véritable psychodrame "A présent, Holly était en colère. Elle pensa : Elle me punit. Ce qui était tout aussi ridicule ! Un bambin ne punit pas sa mère." (p.50) mais lorsque l'inquiétude se prolonge : "S'il te plaît, Tatty ! S'il te plaît ! Maman ne te trouve pas !" (p.51). En considérant la question de l'adoption, ce passage est très symbolique et révélateur. En effet, l'enfant se cache dans le panier à linge sale et montre, dès l'âge de trois ans, une lucidité sur ce qu'elle peut provoquer chez sa mère. Comment se considère t'elle ? Pourquoi l'enfant a-t'elle besoin de venir vérifier à ce point l'amour que ressent sa mère pour elle ?

Tout est bloqué par une tempête de neige. Ce sont les conditions climatiques qui vont contraindre les deux femmes à se retrouver dans un huis-clos le soir de Noël. Un redoutable tête à tête entre elles deux va s'engager. L'adolescente provoque non seulement la culpabilité d'Holly, mais elle va aussi lui faire comprendre qu'elle n'a aucune dette de vie à lui régler, elle ne lui doit rien. Forcément, durant cette crise elles seront en quête de réponses aux questions qu'elles se posent, relatives notamment à la filiation. En dehors du patrimoine génétique, quelle transmission reçoit-on lorsqu'on est adopté ? Pourtant, l'enfant arrivé dans la famille ne part pas de zéro. Ce n'est pas un récipient vide que le parent va venir remplir petit à petit. Le drame, c'est peut-être qu'Holly a oublié qu'à 22 mois, sa fille avait déjà une histoire et qu'elle ne partait pas de rien. Malgré son déni, Holly savait pourtant que : "quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux." (p.11) Mais, qu'était-ce donc ? La réponse apparaitra dans les dernières pages.

"esprit d'hiver" est un roman vedette de cette rentrée littéraire 2013. Je l'ai beaucoup apprécié dans sa forme, sa traduction (malgré les coquilles de cette première édition) et le fond de cette histoire terrible entre une mère et sa fille adoptive. Et même si parfois le roman est un peu bavard dans ses descriptions, sa lecture est aisée. J'avais depuis longtemps un autre Kasischke, "Suspicious river" que je n'avais jamais ouvert, mais je vais réparer cela et le ressortir à présent.

Dans certains passage du livre, je n'ai pas pu m'empêcher de trouver Tatiana exaspérante et insupportable. La vraie ado chiante... Alors je m'autorise un petit clin d'oeil à "Agrippine" (de Claire Bretecher), forcément, j'y ai pensé.

esprit d'hiver - de Laura Kasischke (2013)

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