Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
le Monde de kikushiyo
23 mai 2014

Voyage à Tokyo (東京物語) - de Yasujirō Ozu (1953)

"Voyage à Tokyo" est un chef-d'oeuvre de l'âge d'or du cinéma nippon (1953). Tourné en partie dans les studios de la Shōchiku, Ozu y exprime toute la quintessence de son art. On y retrouve ses thèmes de prédilection comme le modèle d'une famille qui se délite et les rapports intrafamiliaux entre les générations. On y discerne aussi le mouvement oscillatoire du temps qui passe. Mais Ozu reprend surtout la thématique de la désillusion parentale. Celle-là même qu'il traitait dans "Le fils unique" (1936 cf. commentaire Le Monde de Kikushiyo).

voyage à tokyo

Tout s'exprime au travers de petites touches d'une extrême minutie, car "Voyage à Tokyo" est une oeuvre esthétique où le moindre détail prend tout son sens. Ce film est peu loquace, mais le réalisateur utilise d'autres ficelles que la parole pour susciter des émotions. Ici, un silence qui exprime une gêne. Là, le mouvement de la glotte qui se contracte car la souffrance empêche de dire. Dans chacun des plans fixes à caméra posée en intérieur, Ozu donne une importance particulière au sens des images. Posons-nous et apprécions chaque plan livré par le maître.

L'histoire : Shukishi Hirayama et sa femme Tomi sont âgés et vivent dans la province d'Hiroshima, plus précisément à Onomichi sur la côte du littoral au sud ouest du Japon. Ils préparent méticuleusement un voyage de quelques jours à Tokyo où ils vont rendre visite à leur fils Koichi, ainsi que leur fille aînée Shige. Une fois sur place, bien que fascinés par la ville de Tokyo qui leur parait immense, le séjour ne va pas s'avérer aussi serein qu'ils ne l'espéraient. Leur hébergement au quotidien devient vite une charge pour les enfants, tant dans l'organisation de leur vie de famille, que d'un point de vue financier. Il va falloir trouver d'autres solutions, car les garder chez soi devient en soi un problème inextricable. En fait, Shukishi et Tomi comprennent que dorénavant leurs enfants ne pourront pas leur donner la priorité du gîte au détriment de leur famille. Pour eux, le choix est fait. Les liens parents-enfants sont mis à mal. Aussi, la fatigue due à de nombreux déplacements va fragiliser la santé de Tomi, la mère.

Mais il y a la belle-fille, Noriko, la femme de leur fils Shoji qui est mort pendant la guerre. Celle-ci est une secrétaire dévouée à sa tâche. A la demande de Koichi et Shige, elle se rendra disponible auprès des ses beaux-parents et s'évertuera à faire de leur séjour un moment de convivialité.

Mais, ce qui s'est déroulé pendant ce court séjour entre ce couple âgé et leurs enfants est rédhibitoire. La roue a  tournée et le spectateur est passé d'une notion de vie à la fin d'un cycle. Désormais les parents doivent laisser la place. Avant le départ à Tokyo, les premières images du film montraient les rues d'Onomichi animées, vivantes, des enfants sur le chemin de l'école. Après le voyage, Ozu reprend les mêmes plans fixes et cette fois les rues sont désertées et la vie ne fait plus signe. Une cassure s'est faite, elle sera irréversible.

Commentaire : La première image de "Voyage à Tokyo" est une stèle qui fait immédiatement référence à la mort. Un édifice qui rappelle ceux des cimetières japonais. Mais c'est pourtant de la vie dont il est  question au commencement. Le génie de Yasujirō Ozu est qu'en quelques images il indique au spectateur que la vie et la mort forment les deux faces d'une même médaille. En effet, suit un groupe d'écoliers sur le chemin de l'école, puis un train passe et du linge sèche, battu par le vent. La vie se poursuit avec un fondu enchaîné sur ce couple âgé qui prépare ses bagages pour un départ imminent.

Ozu présente donc cette oeuvre comme un bac qui ferait métaphoriquement la navette entre les deux rives que sont la mort et les vivants. Allusion au temps qui passe avec ce mouvement perpétuel des horloges de la gare et des montres à goussets, des enfants qui grandissent et qui, à leur tour deviennent des parents. Et toujours, les trains vont et viennent.

Lorsqu'on est sur l'autre rive, tout n'est que vide et absence. Dans cette dernière partie du film, Ozu prend le spectateur à témoin en décrivant une démarche quasi mystique et pleine de délicatesse. Il y a peu de mots mais plutôt des situations de recueillement. Ozu qui filme très bas se met à la hauteur des hommes.

Le train quitte la gare et la vie continue. "Voyage à Tokyo" est un très bon film remarquablement interprété.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
le Monde de kikushiyo
Derniers commentaires
Publicité